Comment regagner un bien injustement pris

Sheikh Ferkous

Question : Un homme a engagé des ouvriers afin de lui effectuer un travail, puis il ne les a pas rémunérés. Est-ce qu’il est donc permis à ces ouvriers de regagner leur dû par force, s’ils en ont le pouvoir, ou de le reprendre en cachette s’ils sont impuissants. Il y a parmi nos frères ceux qui fondent cet acte sur le hadith de Hind lorsqu’elle s’est plainte de son mari auprès du Prophète صلّى الله عليه وآلِه وسلّم; de plus, ils attribuent cet avis à Ibn Hazm –رحمه الله-. Et merci.

Réponse : Louange à Allah, Maître des Mondes ; et paix et salut sur celui qu’Allah a envoyé comme miséricorde pour le monde entier, ainsi que sur sa Famille, ses Compagnons et ses Frères jusqu’au Jour de la Résurrection. Ceci dit :

Ce qui est cité dans votre question est connu dans la science de la Charia par le nom d’Edh-Dhafar(1).

Les opinions des Ulémas divergent au sujet de cette question. La majorité des Ulémas disent qu’il est recommandé à la personne de ne pas rendre la pareille à celui qui lui nuit, conformément au hadith du Prophète صلّى الله عليه وآلِه وسلّم rapporté par Abou Hourayra رضي الله عنه : « Restituez les dépôts aux déposants et ne trahissez pas celui qui vous a trahis »(2).

Et ce qui porte à dire qu’il est recommandé, plusieurs versets indiquant la permission, tel que le verset dans lequel Allah عزّ وجلّ dit :
﴿وَجَزَاء سَيِّئَةٍ سَيِّئَةٌ مِّثْلُهَا﴾ [الشورى: 40].
Le sens du verset :
﴾La sanction d’une mauvaise action est une mauvaise action [une peine] identique﴿ [Ech-Choûrâ (La Consultation) : 40].

Ainsi que le verset :
﴿وَإِنْ عَاقَبْتُمْ فَعَاقِبُواْ بِمِثْلِ مَا عُوقِبْتُم بِهِ﴾ [النحل: 126].
Traduction du sens du verset :
﴾Et si vous punissez, infligez [à l’agresseur] une punition égale au tort qu’il vous a fait﴿ [En-Nahl (Les Abeilles) : 126].

Par ailleurs, l’opinion considérée dans cette question est celle qui annonce qu’il est obligatoire que la personne prenne le taux auquel elle a droit quand elle s’empare du bien de celui qui l’a lésée ; que ce bien soit du même genre du bien qui a été pris ou non, tout en étant équitable envers la personne qui lui a porté préjudice.

La personne lésée doit prendre son dû après avoir vendu le bien dont elle s’est emparée et de rendre le reste à celui qui l’a lésée ou à ses héritiers. Néanmoins, si le bien vaut moins que ce qui est dû à la personne lésée, le droit de celle-ci restera revendiqué auprès de celui qui l’a lésée, et celui-ci lui demeurera toujours redevable à moins qu’il soit affranchi de cette redevance.

Et ce qui prouve cela dans le Coran, le verset où Allah عزّ وجلّ dit :
﴿وَلَمَنِ انتَصَرَ بَعْدَ ظُلْمِهِ فَأُوْلَئِكَ مَا عَلَيْهِمْ مِن سَبِيلٍ﴾ [الشورى: 41].
Le sens du verset :
﴾Quant à ceux qui ripostent après avoir été lésés, … ceux-là pas de voie (recours légal) contre eux﴿ [Ech-Choûrâ (La Consultation) : 41].
Et le verset :
﴿وَالَّذِينَ إِذَا أَصَابَهُمُ الْبَغْيُ هُمْ يَنتَصِرُونَ﴾ [الشورى: 39].
Le sens du verset :
﴾Et qui, atteints par l’injustice, ripostent﴿ [Ech-Choûrâ (La Consultation) : 39].

Ainsi que le verset :
﴿وَالْحُرُمَاتُ قِصَاصٌ﴾ [البقرة : 194].
Traduction du sens du verset :
﴾Le talion s’applique à toutes choses sacrées﴿ [El-Baqara (La Vache) : 194].
Et le verset :
﴿فَمَنِ اعْتَدَى عَلَيْكُمْ فَاعْتَدُواْ عَلَيْهِ بِمِثْلِ مَا اعْتَدَى عَلَيْكُمْ﴾ [البقرة: 194].
Traduction du sens du verset :
﴾Donc, quiconque transgresse contre vous, transgresses contre lui, à transgression égale﴿ [El-Baqara (La Vache) : 194].

Et parmi les hadiths qui soutiennent cela; le hadith rapporté par l’intermédiaire de Hind l’épouse d’Abou Soufiâne et dans lequel le Prophète صلّى الله عليه وآلِه وسلّم lui a dit : « Prends avec tempérance ce qui te suffit toi et tes enfants »(3), vu qu’elle a droit aux dépenses.

Aussi, El-Boukhâri a rapporté le hadith du Prophète : « Si vous vous rendez chez des gens et ils vous offrent ce que l’on doit offrir à l’invité, alors acceptez ce que l’on vous offre. Cependant, S’ils ne font pas [leur devoir], prenez d’eux ce à quoi l’invité a droit. »(4)
Encore, même si l’on considérait que le hadith rapporté par Abou Hourayra, « … et ne trahissez pas celui qui vous a trahis » mentionné ci-dessus, est authentique, on ne pourrait pas l’utiliser comme argument dans cette question, car le fait que la personne reprenne son droit n’est pas une trahison, c’est plutôt un droit et un devoir.

Toutefois, la trahison est le fait de trahir à tort et à faux celui auprès de qui on a aucun droit ; tel qu’il est déclaré par Ibn Hazm Adh-Dhâhiri, suivi par Es-San`âni, en disant : « … et parmi les arguments qui soutiennent ceci, le hadith du Prophète صلّى الله عليه وآلِه وسلّم : « Soutiens ton frère qu’il soit opprimé ou oppresseur »(5), car l’ordre mentionné dans ce hadith signifie clairement l’obligation, et le fait de soutenir l’oppresseur consiste à l’écarter de l’oppression et de l’injustice ; et ce, en lui enlevant ce qu’il a pris injustement aux autres »(6).

Je dis : ceci est valable à condition que le fait de regagner son droit par ce moyen n’implique pas une nuisance égale ou supérieure à l’intérêt que l’on veut réaliser. Donc, si cet acte impliquait une nuisance, il serait interdit conformément à la règle annonçant que : « Repousser les nuisances passe avant le fait de réaliser les intérêts. »

Le savoir parfait appartient à Allahعزّ وجلّ, et notre dernière invocation est qu’Allah, Seigneur des Mondes, soit Loué et que prière et salut soient sur notre Prophète Mohammed, ainsi que sur sa Famille, ses Compagnons et ses Frères jusqu’au Jour de la Résurrection.

Alger, le 19 de Ramadan 1417 H
Correspondant au 28 janvier 1997 G

Source :

(1) C’est-à-dire : qu’une personne a droit auprès de quelqu’un et celui-ci ne veut pas le lui donner. Ensuite, l’ayant droit obtient un bien appartenant à celui qui ne voulait pas lui rendre son dû. Serait-il alors permis à cet ayant droit d’extraire son dû de ce bien ou non.
(2) Rapporté par Aboû Dâwoûd dans ses « Sounane », chapitre du « Louage » concernant l’homme qui regagne son argent lorsqu’il tombe dans ses mains (hadith 3535), par Et-Tirmidhi dans ses « Sounane », chapitre des « Ventes » (hadith 1264), par Ed-Dârimi dans ses « Sounane » (hadith 2499) et par El-Hâkim dans « El-Moustadrak » (hadith 2296) par l’intermédiaire d’Abou Hourayra رضي الله عنه. Es-Sakhâwi a dit dans « El-Maqâssid El-Hassana » : « Ibn Mâdjah a dit : ce hadith a six chaînes de transmission qui sont toutes faibles. Je dis : mais en les réunissant, le hadith se renforce ». El-Albâni dans « Es-Silsila Es-Sahîha » (hadith 423) a jugé ce hadith authentique par égard à l’ensemble de ses chaînes de narration.
(3) Rapporté par El-Boukhâri, chapitre des « Dépenses » concernant le fait que lorsque l’homme ne dépense pas pour sa femme; celle-ci est autorisée de prendre de son argent à son insu (hadith 5364), par Mouslim, chapitre des « Sentences » (hadith 4574), par Aboû Dâwoûd, chapitre du « Louage » concernant l’homme qui regagne son argent lorsqu’il tombe dans ses mains (hadith 3534), par En-Nassâ’i, chapitre de « La bienséance des juges » concernant le jugement que rend le gouvernant d’une personne absente quand il (le gouvernant) la connaît (hadith 5437), par Ibn Mâdjah, chapitre des « Commerces » concernant le droit qu’a la femme dans l’argent de son mari (hadith 2381) et par Ahmed (7/60, numéro : 23597) par l’intermédiaire d’Aïchaرضي الله عنها.
(4) Rapporté par El-Boukhâri, chapitre des « Griefs » concernant le fait que la personne lésée récupère son argent lorsqu’elle trouve l’argent de celui qui lui a porté préjudice (hadith 2461), par Mouslim, chapitre de la « Trouvaille » (hadith 4613), par Abou Dâwoûd, chapitre des « Nourritures » à propos de ce qui est rapporté concernant l’accueil de l’invité (3754), par Ibn Mâdjah, chapitre de « La bienséance » concernant les droits de l’invité (hadith 3807) et par Ahmed (5/145) (numéro 16894) par l’intermédiaire de `Ouqba Ibn `Âmir رضي الله عنه.
(5) Rapporté par El-Boukhâri, chapitre des « Griefs » concernant [le propos du Prophète صلّى الله عليه وآلِه وسلّم] : soutiens ton frère qu’il soit opprimé ou oppresseur (hadith 2443), par Et-Tirmidhi, chapitre des « Troubles » (hadith 2421) et par Ahmed (hadith 13421) par l’intermédiaire de Anas Ibn Mâlik رضي الله عنه. Ce hadith est aussi rapporté par Mouslim, chapitre « Le bien, le lien et les bienséances » concernant le fait de soutenir son frère (musulman) qu’il soit opprimé ou oppresseur (hadith 6582) par l’intermédiaire de Djâbir رضي الله عنه.
(6) Voir : « Souboul Es-Salâm » d’Es-San`âni (3/69).

Tiré du site de Sheikh Ferkous

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